« Tu dois établir un budget et t’y tenir », probablement le premier conseil de bon sens que l’on reçoit lorsqu’on essaye de mieux maîtriser ses dépenses. Mais si vous avez déjà tenté d’établir un budget, vous conviendrez que c’est bien plus facile à dire qu’à faire. Il est fort courant qu’après avoir consacré du temps et des efforts considérables à élaborer ledit budget, on finisse par le dépasser inévitablement. On finit par se dire : « Comment mes dépenses peuvent-elles rentrer parfaitement dans mon budget au départ, alors que je suis incapable de m’y tenir.
Par bonheur, la recherche issue des sciences comportementales est capable d’expliquer pourquoi nos prévisions budgétaires et la réalité de nos dépenses semblent si souvent en décalage et ce que nous pouvons y faire.
Ne pas en rester à la simple « création d’un budget »
Commençons par le processus de « création d’un budget » proprement dit. La plupart des gens commencent par dresser la liste des dépenses courantes auxquelles ils peuvent penser (voyons, « l’épicerie revient à 200 $ environ, l’hydro à 100 $, les sorties restos 100 $ aussi… »), les additionnent, puis en restent là.
Malheureusement, cela aboutit à un budget qui a tendance à sous-estimer les dépenses réelles, à ne pas se préoccuper des nombreuses dépenses imprévues qui d’un mois à l’autre, sortent de l’ordinaire : que ce soit pour le changement de la batterie de l’auto le mois dernier, à la visite surprise ce mois-ci de l’ami auquel on ne peut refuser un bon restaurant, en passant par la hausse du prix de l’essence le mois prochain. Ces dépenses ponctuelles anodines ne sont pas les premières auxquelles on pense lorsqu’on établit un budget, et dont on se dit facilement dans le cas contraire qu’elles ne se reproduiront pas au mois suivant, sans même réaliser qu’une autre dépense surprise viendra inévitablement la remplacer.
Comment réduire cet écart entre votre budget et vos dépenses réelles ? La première solution consiste à ajuster votre budget en comptabilisant ces dépenses extraordinaires dans un fond d’urgence. Vous pourriez autrement essayer de maîtriser vos dépenses pour pouvoir respecter votre budget. Même si des barrières psychologiques peuvent empêcher la bonne réalisation de l’une ou l’autre de ces méthodes.
Établir un budget réaliste
Bien sûr, nous sommes pour la plupart conscients du degré d’incertitude que comportent des prévisions de dépenses pour le mois suivant et nous efforçons de revoir en proportion nos objectifs de budgétisation. La recherche explique toutefois que nos ajustements sont souvent inadéquats en raison de l’excès d’assurance de nos premières estimations, lesquelles sont trop profondément ancrées dans notre calcul de budget. Alors, comment faire pour formuler des budgets plus réalistes ?
Deux stratégies ont démontré leur efficacité. Premièrement, prendre le temps d’y réfléchir, et coucher par écrit les raisons de cet écart entre nos prévisions et nos dépenses réelles. Deuxièmement, envisager l’idée de faire des estimations de budget d’une année à l’autre plutôt que pour le mois suivant. Deux stratégies ont permis de réduire l’écart entre estimation et réalité de la budgétisation.
Moins d’excès de confiance
La maîtrise des dépenses est un autre moyen de respecter un budget. Malheureusement, nous avons souvent un excès de confiance dans notre seule volonté. On peut aisément se croire tout à fait capable de cuisiner à la maison au moment d’établir un budget, mais un bon repas dans notre restaurant préféré est bien plus alléchant qu’une soirée passée à cuisiner après une dure journée. L’une des raisons de notre excès de confiance dans nos capacités est qu’il est difficile de se figurer vraiment l’intensité de nos émotions à venir tant qu’on n’a pas l’expérience de l’immédiateté : l’écart chaud – froid.
La recherche en psychologie a montré que les meilleures stratégies de contrôle de soi reposent rarement sur la simple volonté. Au contraire, c’est la proactivité qui paye : planifier pour éviter d’être en présence de tentations ou pour être plus facilement capable de ne pas y succomber. Donc, plutôt que d’avoir à compter sur notre seule volonté pour résister à la tentation d’un souper au resto après une dure journée, une stratégie plus efficace consiste à s’assurer d’avoir suffisamment de repas « micro-ondable » faciles à préparer à la maison en prévision des journées bien remplies. Une autre stratégie consiste à s’accorder des « indulgences » planifiées (une soirée repas à emporter tous les vendredis par exemple) plutôt que finir par se laisser aller sur un coup de tête.
Les budgets sont exprès trop optimistes
Il y a une autre raison probablement évidente, pour laquelle nos dépenses excèdent notre budget, c’est que l’on se fixe souvent, en guise de motivation pour moins dépenser, des objectifs délibérément optimistes. Ces objectifs financiers se veulent d’ambitieux défis à relever : réduire des dépenses mensuelles de restaurant en passant de 200 à 100 $ est un objectif ardu et peu d’entre nous y parviendraient. On ne doit pas néanmoins baisser les bras si l’on n’atteint pas nos objectifs budgétaires.La recherche a révélé que, même si établir un budget ambitieux conduit à de plus fortes probabilités d’échec, se fixer de telles cibles à atteindre aboutit en général à de moindres dépenses. Alors même si vous ne respectez pas toujours votre budget, c’est déjà bien d’en avoir un qui vous sert de guide financier.
Références bibliographiques
Howard, R. C. C., Hardisty, D. J., Sussman, A. B., & Lukas, M. F. (2022). Understanding and Neutralizing the Expense Prediction Bias: The Role of Accessibility, Typicality, and Skewness. Journal of Marketing Research, 59(2), 435–452. https://doi.org/10.1177/00222437211068025
Loewenstein, G. (1996). Out of control: Visceral influences on behavior. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 65(3), 272–292.
Lukas, M. F., & Howard, R. C. C. (2023). The Influence of Budgets on Consumer Spending. Journal of Consumer Research, 49(5), 697–720. https://doi.org/10.1093/jcr/ucac024
Rishika, R., Feurer, S., & Haws, K. L. (2022). Really Rewarding Rewards: Strategic Licensing in Long-Term Healthy Food Consumption. Journal of Consumer Research, 49(2), 268–287. https://doi.org/10.1093/jcr/ucab059
Ülkümen, G., Thomas, M., & Morwitz, V. G. (2008). Will I spend more in 12 months or a year? The effect of ease of estimation and confidence on budget estimates. Journal of Consumer Research, 35(2), 245–256.
Williamson, L. Z., & Wilkowski, B. M. (2020). Nipping Temptation in the Bud: Examining Strategic Self-Control in Daily Life. Personality and Social Psychology Bulletin, 46(6), 961–975. https://doi.org/10.1177/0146167219883606
Ian est un associé à BEworks, une société de conseil en sciences comportementales, où il élabore des stratégies pour améliorer le bien-être financier, physique et social des gens. Il est titulaire d’un doctorat en psychologie sociale de l’Université d’État de l’Ohio et a publié des recherches dans des revues universitaires de premier plan sur la prise de décision interpersonnelle et les émotions.